( e x i t )

« t'sais, t'es comme
les couleurs pastels au milieu de l'arc-en-ciel,
t'as rien à faire là. »

Le soleil haut dans le ciel brûlant sa peau laiteuse, les poings et les genoux écorchés d'être trop tombé, le cornet de glace vulgairement volé sur une air d'autoroute et le pack de bière posé à leurs côtés. Il était de ces gosses qui attendaient, adoraient l'été. De ces gosses qui se souciaient de rien, pas même du lendemain. Qui avait vu plus qu'il ne savait en dire à l'époque. Cette sécurité, cette innocence voilée dans les yeux par cette main qui ébouriffe ses cheveux courts, par cette voix qui lui assure qu'ils passeront le meilleur des étés, mieux que le dernier alors qu'il promet ça chaque année. Il est ce gosse d'été assis sur le siège arrière, la voiture mal garée au milieu d'une station essence. Ce gosse le regard perdu qui voit de loin son père tiré. Il avait eu tort, cet été là.

La sécurité s'est barrée, bien sûr qu'elle s'est tirée. Ses ongles s'ancrent, sa respiration se coupe, s'accélère. Le silence pèse et l'attente est longue. Les heures défilent sur la pendule accrochée face à lui, le narguant de ses aiguilles qui font le tour. Ses pieds effleurent à peine le sol, se balancent nerveusement, inlassablement, d'une répétition agaçante. On lui a dit que sa mère viendrait le récupérer, dans ce commissariat à des kilomètres de chez lui. Sa mère viendra, ouais. La jupe trop courte, le maquillage trop provoquant, le discours trop insistant, elle le ramène à la maison et elle parlera pas de ce qu'il s'est passé.

On le connaissait dans le quartier. Il était le gosse qu'on venait rarement cherché, le gosse qui traînait parfois trop tard dans les rues, qui jouait avec le fils de la voisine dans le parc au coin. Trop souvent traité de fils de pute, si longtemps clamé le contraire alors qu'il y avait pas de mensonge. Et quand y a rien à dire, quand y a plus de mot face à la vérité, on utilise la violence pour faire retrouver le silence.

C'était même pas l'été. L'été des roadtrips avec son père, les étés attendus sur le pas de la porte, tellement pressé  qu'il dévalait les escaliers. Le seul à se soucier de lui. Il est revenu, il s'est pointé, six ans après. En plein mois de janvier, à la sortie des cours et il est pas rentré, il a rien dit à sa mère. Elle ne remarquera pas son absence. D'ici deux jours, elle le réclamera, puis elle captera que son fils est bien comme son père, le bâtard qu'elle lui a toujours décrit.

L'illusion des souvenirs se brise, loin de cette ambiance ancrée dans son esprit. Il pique des trucs dans les rayons, sur la route comme si cela était devenu naturel, comme si cette notion du bien et du mal n'avait jamais été enseignée. Entre les salles de concert, les bars le soir, il s'endort, se couche à l'aube du lendemain. Il touche à un verre, deux. Puis plus tard, une première ligne. Le rire de son père qui lui ébouriffe les cheveux en gratification, des mots italiens, de ce sourire qui ne sera pas toujours présent.

Il aurait probablement tout fait pour lui. Il aurait carrément sauté d'un pont si il le lui avait demandé. Il l'avait pris, ce sac. Cette merde qui causera leur perte. La lanière sur l'épaule, il s'était rendu à ce rendez-vous. Une histoire de vieille dette à payer, un truc qu'il pouvait pas faire seul. Il a entendu un coup de feu, au loin. Son père s'est ramené et lui a dit de se tirer. Ils ont couru, pas longtemps, pas suffisamment longtemps.  Et cette fois, on lui demanda pas de s'asseoir sur cette chaise, dans la pièce d'à côté. Cette fois on appela pas sa mère.

L'île, le bateau. Il était ce gosse recroquevillé dans un coin, à faire face au manque qui lui tiraillait l'estomac et ces envies de vomir à la première vague ressentie. Il aurait bouffé du regard le premier qui aurait à peine souri de sa situation...Si il avait pu ne serait-ce que bouger. Peut-être que ça s'était lu sur son visage. A l'époque pourtant, il n'était pas à ce point enfoncé, bousillé.

Cinq années. Les premières nuits, il a juste voulu se tirer d'ici. Il a essayé inutilement. Il a passé l'épreuve sur le ring, la cocaïne dans le sang et ce sentiment qui efface toute impuissance. Il a tâché ses mains de sang. Il s'est laissé éprendre par les sentiments. Il en a crevé, à moins que ce soit lui, qui l'ait tué. Il a vu les chimères naitre. Il l'a vu arriver, lui. Le mec qui détruira un peu plus sa vie par une existence envoutante. Il est l'ouragan. La bourrasque dévastatrice. Il est ce flingue sur la tempe, le noeud qui se resserre autour de la gorge, le vide sous ses pieds, les doigts ancrés dans le coeur. Il est pas un gars bien, de ceux à éviter. De ceux que Nino évitait pas, de ceux qui le fascinent. De l'addiction qui vous bouffe d'un regard et fait fuir la moindre raison en courant. Pas un gars bien. Mais il en était pas vraiment un, lui non plus.