reckless youth (yuta le kk)

      Elle regarde ses pieds en marchant, elle regarde ses chaussures usées se couvrir de feuilles, de terre, et grimper sur les racines imposantes. Elle écoute pas les bruits qui grésillent autour d’elle, qui font vibrer ses tympans, qui pourraient la faire trembler. Elle écoute rien. Même pas le bruit de ses pas ou celui des branches qu’elle brise en les écrasant sous ses semelles pourries. Même pas son cœur qui bat trop vite, seul témoin de l’angoisse qu’elle a l’air de pas bien ressentir vu son visage poupon qui reflète juste un calme affolant. Elle a l’air d’errer, comme ça, Nova, d’aller et venir sur un sol qu’elle connait même pas, sans trop savoir pourquoi, sans vraiment se demander pourquoi. Mais au fond, elle sait très bien ce qu’elle fout dans cette forêt étouffante alors que le soleil disparaît déjà. Ca l’intrigue, ça la rend curieuse, et comme l’enfant qu’elle est, elle a voulu s’y aventurer. On dit plein de choses sur cet endroit. Trop même. Et peut-être bien qu’un des tarés peuplant cette île se planque ici. Mais Nova elle écoute seulement sa curiosité. Alors elle s’arrête pas. Et elle pense même pas à faire demi-tour.

        Elle sait pas trop ce qu’on peut trouver là, à part des morceaux de bois et trop d’arbres. Y a pas d’animaux ici, ‘y a qu’eux, juste eux. Et elle sait pas ce qu’elle cherche. Se perdre, peut-être. Se retrouver paumée dans un coin, toute seule. Qu’on la laisse tranquille, qu’on s’occupe pas d’elle et qu’on la laisse là où elle est, parce que c’est tout ce qu’elle demande. Elle sourit en se rendant un peu mieux compte de la prison végétale qui l’entoure ; ça lui rappelle la forêt qu’elle avait l’habitude de squatter avec Nao, avant. Un endroit un peu moche tout en restant bizarrement beau, des arbres qui se grimpaient dessus, qui cachaient le ciel tellement ils montaient haut. Et puis un petit lac, ridicule, à peine plus grand qu’une marre, à l’ombre d’un saule pleureur en train de mourir. Elles s’asseyaient toujours à cet endroit là, avec un feu maladroit, et elles comblaient les vides des conversations insensées et venimeuses avec des rires perdus dans le silence et des regards qui s’interrogeaient mutuellement sur le pourquoi du comment elles avaient le cul posé ici à cette heure-la. Nova fronce les sourcils en se rappelant ; c’est dérangeant de se sentir si accrochée à des bribes de souvenirs sans importance, des moments révolus. C’est dérangeant de pas réussir à se sortir de sa nostalgie. Alors que ça fait presque trois ans déjà. Trois putains d’années qu’elle se tient miraculeusement encore debout sur cette satanée île alors qu’elle aurait jamais dû y être. Jamais.

        Le ciel se teintant d’un bleu légèrement plus foncé qu’en journée fait reculer Nova. Elle aurait aimé rester ici, mais ‘y a tous ces cons dans le styx qui l’attendent, eux et leurs mains dégueulasses. Quoique les siennes sont pas plus propres. Alors elle revient sur ses pas lentement, pas vraiment décidée, pas du tout motivée. Elle souffle. Peut-être bien qu’elle aurait dû se contenter de sa seule bannière à elle, pas rejoindre celle des chimères. Mais c’est tellement effrayant d’arriver ici, à tout juste quinze ans, et de se dire qu’on est seul, juste seul, dans un monde qu’est pas le sien au milieu de possibles névrosés. ‘Fallait qu’elle trouve un point de repère. Et quelques fois elle regrette. Parce qu’au fond, ‘y a jamais eu un seul jour où elle s’est sentie réellement à sa place dans le gang. Mais ça lui arrive de se dire qu’elle aurait pu tomber plus mal.

     Elle descend un talus, glissant au passage à cause des feuilles encore humides d’un léger orage. « Putain… », elle jure en essuyant ses mains crades sur son vieux jean délavé. Et quand elle relève la tête du sol, elle remarque une silhouette à tout juste quelques mètres d’elle, de dos. Elle s’approche, discrète comme à son habitude, et de toute façon ne voulant pas faire de bruit, qui sait, ça s’trouve c’est Taek Yoon et rien que l’idée de savoir ce mec dans la forêt avec son pète au casque, ou un de ses amis magicien, ça la fait déjà grogner. Mais elle arrive sans trop de peine à reconnaître Yuta, l’air vachement paumé, vu comment il insulte la forêt en regardant autour de lui. Un sourire espiègle vient fendre le visage de Nova qui, sans prévenir, se glisse derrière lui, tout près de son oreille. « Bah alors, on est perdu… ? », elle chuchote, moqueuse, avant de reculer d’un pas. Son regard noir le jauge et son rictus ne quitte pas le coin de ses lèvres. Parce que Nova elle est comme ça ; elle se moque. Mais parce que c’est lui, aussi. Parce qu'un autre elle serait passée à côté.