an unexpected meeting ft. Hyun-Ki

Couchée sur le dos je regarde le ciel et j’entends la mer. Je ferme les yeux et me laisse bercer par le bruit des vagues. Le soleil réchauffe mes bras nus et mon visage. Etendue en croix sur le sol j’attends. Je m’ennuie pourtant je sens mon sang battre à tout rompre dans mes veines. Je crois que je suis en train de devenir folle. Plus qu’avant. Je rouvre les yeux d’un coup et me redresse presque aussi vite. Je tâte les poches de mon pantalon. J’entends le crissement des deux pochons en plastique que je porte. L’un de weed, l’autre de pilules. J’ai déjà pris un caché il n’y a moins d’une heure et je ne ressens encore aucun effet. Dire qu’il n’y pas si longtemps que ça je refusais d’avaler la moindre chose en journée. Fais chier. Je soupire et sors le pochon de weed. Je roule un joint grossier et le fume. Seule. Les yeux rivés vers l’horizon. Récemment la solitude est devenue un luxe que je ne saurais me refuser. Parce que le reste du temps elle est là. Je la sens se pencher sur mon épaule. Je l’entends m’encourager quand je me bas. Je la vois jouer dans les vagues. Je suis en train de devenir folle. Ça y est. Je ne sais plus quand ça a commencé. Une nuit. Pendant une des soirées des magiciens je l’ai vue au milieu de la foule. Le regard lourd de reproche. Depuis elle hante mes pas. Quand la drogue vient m’engourdir les sens je ne la vois pas et elle redevient le souvenir agréable ou douloureux de la fille pour qui j’aurais donné ma vie.

Je jette le cul de joint dans la mer et me lève un peu difficilement. Je prends la veste en jean qui me servait de coussin et l’enfile en même temps que je me mets en marche. Ces derniers temps personne ne semble vouloir se mesurer à moi. Et ma lèvre qui n’a pas encore cicatrisée aide à tenir les plus joueurs à distance. J’hésite à faire un détour par l’arène mais ce serait une mauvaise idée dans mon état actuel. Je préfère fuir le territoire des magiciens. Et puis je combats mieux en sa présence.

Je marche jusqu’au marché d’un pas décidé. Je ne sais pas trop ce que je vais trouver là-bas mais je devrais profiter de son absence. Je devrais être en pleine montée mais pour l’instant tout va bien. Les effets de l’herbe atténuent ceux des pilules. Je ne me rends tout simplement pas compte que depuis plusieurs minutes j’ai la mâchoire crispée à m’en rompre les dents. Je marche entre les allées sans vraiment faire attention aux échoppes des vendeurs. Tout ce que je veux s’est marché. Enfin je crois. Je sais pas ce que je veux et je l’ai jamais su. Mais à cet instant précis je m’en fou. Je me fou de tout. Je suis tellement dans mon truc que je finis par percuter quelqu’un.

« P-Pardon. Je faisais pas. Attention. » Je butte sur les mots. J’ai la bouche pâteuse. Je suis chargée comme un missile, comme disent certains magiciens et ça doit se voir comme le nez au milieu de la figure. J’ai 90% de chance d’être tombée sur un idiot qui voudra qu’on règle ça par les poings. Et je dois dire que cette idée ne me déplaît pas. Je relève la tête pour voir la personne qui me fait face. Même si j’avais bu la plus infâme des mixtures des alchimistes je n’aurais pas pu ne pas le reconnaître. La tresse dans sa nuque. Sa stature. Tout. Quelqu’un dont l’existence m’importait plus que de raison. Quelqu’un qui avait promis de rester. « Hyun Ki. » Les mots sortent tous seuls. Dire que pendant des mois j’avais retourné la question de qui il était. Alors que j’avais la réponse sous les yeux depuis le début. Mais j’ai rien vu. Parce que je ne vois jamais rien. Qu’avec lui je suis toujours dans le flou.

Et quand son absence ne se faisait plus remarquer. Le voilà qui apparait. Par réflexe et parce que je me souviens que la dernière fois il s’est enfui en courant, je l’attrape par le poignet. Je sers fort. Aussi fort que je sers des dents à cause de la drogue.

Tu pensais, après sept ans passés sur cette île que rien pouvait plus t'étonner. Tu pensais avoir tout vu, avoir tout découvert. Pourtant, ce dernier mois a été chargé. Entre le loup trouvé dans la forêt. Eun-Hee, Riley, la découverte que In Soo était sur l'île, prostitué et futur papa. Sans oublier évidemment Cyriel. T'arrives pas encore totalement à comprendre ce qu'il s'est passé aux sources chaudes, et t'as plus l'impression que c'était un rêve ou un monde parallèle qu'autre chose. T'aimerais t'imaginer que c'est jamais arriver et que tu t'es pas attaché à une nouvelle personne. Et pas à Cyriel. Pas à Cyriel qui t'énerves tant que ça. T'énervais ? Ouais, t'es plus trop trop sûr. Enfin le fait est que depuis quelque temps, il s'en passe des choses, contrairement à ce que tu pensais. Ce qui te frustre, vraiment ? C'est que t'as passé sept ans ici. Et que c'est que cette année qui commence à se passer des trucs. Et c'est pas de la mauvaise foi de dire qu'avant tu les évitais, les trucs intéressants. Pas vrai ? T'façon, c'est bien connu, la mauvaise foi, tu connais pas toi, non ? La blague. Tu sors de chez toi, et tu réveilles Shin Il en passant, qu'il puisse s'occuper de ses activités du jour. T'as décidé d'aller le marché. Pas que t'aies quelque chose en particulier à acheter, non. Mais t'as envie de te balader, de découvrir les nouveaux, de voir un peu qui traîne là à cette heure. Et t'as envie de t'assois sur un muret et de laisser le temps passer. Les pensées dans ta tête, t'évites de trop te focaliser sur elles, tu te dis que bon, au moins, ta vie n'est plus aussi insipide qu'avant. Et tu penses qu'avec tout ça, ça fait un bout de temps que t'es pas allé dans les tunnels. Et que ça te ressemble pas. Et qu'Obibi doit probablement se demander ce qu'il te prend. Tu t'assois sur un muret après avoir saluer quelques personnes. Et tu attends. Tu regardes les échanges. Tu vois des gens voler quelques trucs, mais tu souris. Parce que toi aussi, au début, tu volais des trucs. Mais après l'interdiction. T'façon sur l'île, personne ose te dénoncer. Et même Hadès, t'es pas certain qu'il prendrait quelconque mesure contre toi.

Quand tu te dis qu'il est peut-être temps d'y aller, dans les tunnels, tu te dis que peut-être, ça te fera redevenir celui que tu étais avant. Celui qui n'en avait rien à faire de rien, à part de cette étrange énigme des magiciens. Celui qui, comme tu venais de le faire, restait pendant des journées entières assis sur un muret à regarder les gens, à les observer, mais sans réellement les voir. A plutôt les imaginer comme des fourmis dans une grande fourmilière qu'est l'île, et qui ont toutes leur place attitrées. Les petites fourmis. C'est un peu le cas. A quoi serviraient les gangs sinon ? Et les surnoms ? Au final, c'est les sans gangs qu'ont tout compris. Pour pouvoir faire ce qu'on veut sur cette île, faut être rattaché à personne. Mais en étant rattaché à personne, on risque plus que si on l'est. Ou vraiment ? A ce qu'il paraît, le mec mort, il était pas chez les chimères ? A quand remonte le dernier meurtre de sans gang hein ? Bah tu serais incapable de le dire. Parce que les sans gang, ils ont tout compris. Et qu'ils savent se défendre pour la majorité d'entre eux. Tu t'avances donc, marchant à travers les fourmis. Et toi aussi, t'es une fourmi. T'es juste plus âgée, plus imposante que les autres. Ils se retournent sur ton passage, ils te saluent. Tu les salues aussi. Même ceux dont t'as oublié le nom, au moins ils se diront que non, tu ne manges pas des bébés animaux si tu les salues. Que peut-être, t'es pareil qu'eux, un humain. Et pas un OVNI.

Tu marches, marches. Puis un accroc. « P-Pardon. Je faisais pas. Attention. » Et cette voix, oh, cette voix. Ça faisait longtemps que tu l'avais pas entendue, cette voix. Trop longtemps. Ou pas assez. T'es pas très sûr. Et puis, tu te dis que tu devrais fuir. Parce qu'elle sait que t'es lui, maintenant. Elle aurait pu faire comme les autres. Passer, te dire bonjour, et pas te reconnaître. Parce qu'elle savait pas que t'étais lui. Et c'est ce qu'elle faisait. Maintenant, c'est plus le cas, non. Maintenant, elle sait. Elle relève la tête, et tu sais qu'elle t'a vu, alors tu fais la seule chose que tu penses à faire. T'avances. Oui. T'as réussi à l'éviter pendant tout ce temps. Alors tu vas continuer. Et à y repenser, tu vas pas aller dans les tunnels, non. T'irais bien plutôt chez les chimères, chercher Cyriel. Oui. C'est mieux. Pour oublier Sa Rang. Ou rester avec Sa Rang. Pour oublier Cyriel. Alors tu t'arrêtes, finalement. Et elle te reconnaît, tu le sais. « Hyun Ki. » Et elle t'attrape le poignet. Et elle le sert. Fort. Plus fort que de raison. Et les gens vous regardent. Et ça t'inquiète. Parce que t'aimerais que personne sache. Que les gens commencent pas à parler sur cette fille et ce garçon. Sur cette magicienne et ce sage. Sur cette boxeuse et ce renard. Alors tu la regardes, tu lui souris pas, non. Tu pourrais pas lui sourire. Pas maintenant qu'elle te regarde dans les yeux. Et tu blagues. Pourtant. Et tu dis quelque chose de ridicule. Parce que tu sais pas quoi dire d'autre. « Et moi qui pensait que la première fois que je t'embrasserais, tu saurais toujours pas qui j'étais. » Et tu souris toujours pas. Parce que cette phrase, tu regrettes de l'avoir dit. Mais tu le regrettes pas. Parce que fondamentalement, c'est ce qui serait arrivé non ? Que t'aies des sentiments pour elle ou non. « Je vais pas partir Sa Rang, j'ai nul part où aller. C'est toujours moi. Lâche ma main. Que je puisse te prendre dans mes bras. Si tu veux. » Et tu sais pas pourquoi. Et t'avais peur au début. Mais c'est Sa Rang. Et c'est toi. Et finalement, qu'elle te voit ou non, pour toi, c'est la même chose. Peut-être pas pour elle, probablement pas pour elle, mais pour toi, rien n'a changé. Tu peux juste plus lui sourire. Mais tu peux toujours te comporter pareil avec elle. Parce qu'avec elle, c'est pas pareil. Alors qu'avec les autres, tu es ou tout feu, ou tout glace, avec elle, non. Avec elle, t'es vraiment toi, le vieux renard. Mais t'es pas le rôle. Le vrai.

Je sens mon sang battre dans mes tempes. Je meurs de chaud. Mon corps brûle. Mon cœur s’affole dans ma poitrine et ça fait presque mal. Mon corps est en ébullition. Mon esprit par contre…rien. Seulement du vide. Et ça c’est pas l’effet habituel de la drogue. Normalement tout va vite, trop vite même. Mes pensées s’enchaînent sans que je puisse en suivre le cours mais pas là. Pas maintenant. Juste une page blanche. Je n’ai aucune idée de quelle expression j’affiche alors que mes yeux sont plongés dans ceux de Hyun Ki. Je me doute bien que j’ai les pupilles dilatées et le teint blanc. Tout le monde dit que j’ai la figure de plus en plus pâle. Mes oreilles bourdonnent. Je n’entends plus les passants autour de nous. Et moi qui prends toujours garde à ne montrer aucune faiblesse extérieure, je ne réalise pas que je nous mets dans une posture délicate et qu’il y a trop de monde dans le marché. Non, parce que j’ai oublié où je me trouve.

Il parle et peu à peu je reprends conscience de qui je suis. De qui il est. De où je suis. Et je peux à nouveau réfléchir correctement. Du moins comme une camée le peu… Je ne sais pas si ce sont les pilules de Kyung Hong mais je comprends pas ce qu’il dit. M’embrasser. Ça n’a pas de sens. Je n’ai jamais rien compris à ce genre de choses. L’amour. L’attirance. Désirer quelqu’un. Et ça la faisait beaucoup rire. Je n’ai embrassé qu’une seule personne dans ma vie et c’était elle. Tu ne devrais pas me dire ce genre de choses Jang Hyun Ki. Parce que ce sont des concepts trop abstraits pour moi. Parce que je me pose trop de questions sans réponses. Je sens ma bouche se tordre en une moue désapprobatrice. « Ne parle pas de choses que je ne comprends pas. » Je ne maitrise pas les mots qui sortent de ma bouche. Ils expriment ma pensée de la façon la plus abrupte qui soit. J’aurais préféré me taire mais je ne contrôle presque rien.

Je me rends soudainement compte que ma main sert son poignet plus que de raison. Je desserre la pression, tout doucement, avant de complètement lâcher Hyun Ki avec une infinie délicatesse, qui ne me ressemble pas.  J’entrouvre la bouche pour dire quelque chose mais préfère me taire. Je me sens soulagée qu’il reste. Peut-être est-ce un effet de la drogue mais je trouve que mon nom sonne différemment. Ce n’est pas la même chose que lorsqu’il se cachait dans mon dos. Je ne peux pas l’expliquer –je ne comprends rien à rien. « Me prendre dans tes bras. » Je répète, absente. C’est plus pour moi que je reformule sa demande. « D’accord. » Ce serait mentir que de dire que depuis notre dernière rencontre, je n’ai pas pensé à lui. A ses bras autour de mes épaules.  

Tu t'en sors pas, tu sais pas où t'en es, t'es pommé. T'as plusieurs possibilités, plusieurs chemins qui s'offrent à toi. Et le gros problème, c'est que t'as réellement aucune idée de quoi suivre. De qui, en occurrence. Et puis si encore, t'étais persuadé que tu devais suivre un de ces chemins, mais même pas. Parce qu'avec eux, t'es jamais sûr de rien. Et au final, tu te dis qu'avec les jeunes sur l'île, tu peux jamais être sûr de rien. T'es pas le seul à être pommé. Ils le sont tous un peu. Oh ça c'est vrai. Tous. Certains essayent de le cacher, et certains réussissent. Bien sûr, vous êtes pas tous pommés de la même manière. Toi, t'as eu sept ans pour t'aclimater. Pourtant t'as l'impression qu'en ce moment, le plus pommé de tous, c'est toi. Avec Sa Rang qui te sert la main comme s'il n'y avait plus de lendemain pour elle. Et en prenant le fait que maintenant, elle le connaît, ton visage. Et elle sait qui étaient ces mains, ces bras, qu'elle pouvait trouver si rassurant. T'es plus rassuré du tout, toi, au contraire. Tu gardes contenance quand tu lui demandes de te lâcher. Parce que tu es Hyun-Ki. Le vieux renard. Que tu es imposant dans l'esprit des gens. Que ces personnes pensent te connaître, mais que ce n'est en réalité pas le cas. Que tu as réussi à tenir sept ans sans trop t'embrouiller avec des gens parce que justement, ces gens pensaient te connaître. Ils pensaient que tu étais ce garçon solitaire, mais sûr de lui. Ce garçon en tête de la communication entre le gang des sages et des autres. Un vrai Qui Gon. Ils n'ont probablement jamais vu Star Wars de leur vie. Qui Gon est la définition même du caché. Le nombre de choses qu'on ne connaît pas de sa vie sont incalculables. Toi, c'est pareil. Ils sont tous là, autour de toi, à penser que peut-être ils oseront un jour t'approcher. Mais tu les rejetteras. Parce que t'as envie d'être seul. Solitaire. Ne pas t'attacher. Ne pas être blesser. Ne pas blesser. Aussi. Et pourtant, elle est là. A s'accrocher à toi comme si ça vie en dépendait. Elle t'en veux. De parler de baisers probablement. Oh, mais elle n'est pas la seule. Toi aussi tu t'en veux. Tu sais pas trop ce qui t'as prit. A croire que depuis que tu vois Cyriel, t'es porté sur tout ce qui se rattache au physique. Ouais. C'est probablement ça.

N'empêche que même si t'es pommé, même si tu joues parfaitement la comédie du type qui ne ressent rien mais qui en fait explose de l'intérieur, tu souris clairement lorsqu'elle te donne son accord. Oui, elle veut bien que tu la prennes dans tes bras. Et la façon dont elle le dit. On dirait un enfant qu'on vient de calmer après une crise d'effroi. Et l'effroi, pour le moment, c'est toi qui le ressent. Parce que ta Sa Rang, ta poupée magicienne, tu la reconnais pas. La dernière fois que tu l'as vu, que tu lui as parlé, elle était pas comme ça. Elle ressemblait pas à une gosse encore plus pommé que toi. Et là, c'est ce qu'elle est. Et t'as l'impression d'avoir à faire à une personne en cristal. Une personne à ne pas brusquer. Une personne à faire attention à ne pas casser. Tu lui souris, comme si tu voulais rassurer cette gamine en cristal, et tu t'approches d'elle, doucement. Pas à pas. Comme si elle était une bête sauvage à apprivoiser. Et tu flippes en te disant que t'es peut-être plus proche de la vérité que tu le pensais. Et lorsque t'es assez prêt d'elle, tu oublies les gens autour, et tu essayes de lui transmettre cette bulle dans laquelle tu vous a enfermé. Les gens autour n'existent pas Sa Rang. Il n'y a que vous deux. Tu passes doucement tes bras autour d'elle, passant dans son dos. C'est rassurant pour elle, probablement. C'est connu. Elle connaît cette sensation. Elle te connaît. Tes bras se rejoignent au niveau de son ventre, et tu poses ton menton sur son épaule. Juste comme d'habitude. Et tu souris, de soulagement. Parce que pour toi aussi, c'est un territoire connu. Et que ça te fait du bien. Elle te fait du bien. Rien que par sa présence. « Ça va mieux ? » Parce que tu t'inquiètes vraiment pour elle. Pour sa santé. Mentale. Surtout. Pas que tu la penses folle. Mais t'as peur pour elle.

Je n'arrive pas à le comprendre. Je n'arrive pas à me comprendre. À nous comprendre. J'ai l'impression d'être une enfant perdue. Une enfant qu'on aurait abandonnée sur un chemin au milieu de nulle part. Perdue au point de ne pas savoir dans quelle direction aller pour retrouver ma route et rentrer chez moi. Ça fait combien de temps que je n'ai pas ressentis l'impression d'avoir un chez moi ? Longtemps. À un moment j'avais commencé à me sentir bien dans l'espèce de dortoir où s'entassent les magiciens mais plus rien. Je ne me sens plus à l'aise nulle part. Si. Quand Kyung Hong me prend sous son aile. Ou quand ma tête se vide face à l'horizon marin. Ce n'est pas moi qui suis perdue. Je me suis perdue en chemin. Ce n'est pas moi qui parle. Ce n'est pas moi qui ronge des dents. Ce n'est pas moi. Mais où est-ce que je suis partie ?

Le simple fait de le voir sourire me rassure. Je ne peux pas m'empêcher de me demander s'il souriait de la même façon pendant tout ce temps, caché dans mon dos. Je m'étais toujours dit que la première fois que je verrais son visage, je le regarderais avec attention. Que je prendrais note de chaque trait de sa figure pour être sûre de ne pas l'oublier. Au cas où l'occasion ne se représenterait pas. Au final je m'en contre fou. Un sourire est amplement suffisant et puis je le connais déjà ce visage. Hyun-Ki le sage. Hyun-Ki qui erre. Tout le monde sait qui il est. Et il y a moi qui n'arrive pas à raisonner correctement. Qui ne se dit pas que s'est dangereux.

Je ne saisis pas tout de suite où il veut en venir dans ses mouvements jusqu'à ce que je sente son menton sur mon épaule et ses mains contre mon ventre. Je voudrais me dire que rien n'a changé. C'est faux. Tout est tellement différent. Je suis différente. Pour la première fois j'ai honte. Honte de ce que je suis devenue. Honte du sachet de pilules dans ma poche. Je ne supporte pas cette part de moi qui ne peut plus se passer de drogues. Je pourrais presque la détester elle. Mais qui es-tu pour faire la pluie et le beau temps avec mes émotions. Et ça ne me met même pas en colère. Je voudrais lui répondre. Mais quoi ? Je n'arrive même pas à trouver la réponse à une question aussi simple. Je ferme les yeux un instant. Comme si la réponse allait m'apparaître clairement.

J'entends un rire au milieu du brouhaha des passants. Un rire cristallin, un peu moqueur. Son rire à elle. Et son rire si mélodieux me glace le sang. Ce n'est pas elle qui me fait peur. C'est plutôt la capacité qu'à mon esprit malade à reproduire à la note près son rire. Je rouvre les yeux, le regard rivé vers le sol. Je voies le bout de deux baskets blanches face à moi. Je saurais reconnaître le modèle entre mille. Impossible de se tromper, ses favorites. Avec une petite breloque en plastique en forme de fraise, passée aux lacés de sa chaussure droite. Les yeux révulsés je n'entends plus rien. Je ne voie rien d'autre. C'est ce même pied qui amorce un pas dans ma direction. Affolée je recule contre Hyun-Ki et lui écrase le pied dans la précipitation. J'ai des sueurs froides. Va-t'en ! Je suis folle à lier. Je pâlis à vue d'œil. Mon corps tremble.

Elle est morte. Elle est morte. Je me répète frénétiquement ces pensées comme un mantra. Pour chasser le mauvais oeil. Je ne me rends pas compte que mes pensées dépassent mes lèvres. Je murmures pour me convaincre et la faire partir. " Tu es morte Ahn Sun Hee." Et je ne crois pas aux fantômes.